Ce livre est une nouvelle tentative pour réhabiliter le régime communiste
de Ceaușescu et de sa Sécuritaté.
A ces tentatives, devenues maintenant classiques, s’ajoutent cette fois un
zest de reconsidération des relations diplomatiques, économiques, politiques
avec la Russie (à travers l’U.R.S.S.). Ce sujet étant tabou, jusqu’à aujourd’hui en Roumanie.
Mihai Caraman (né en 1928), est un ancien général communiste roumain de
la Securitaté qui, durant la période 1958-1969,
étant en poste à Paris, officiellement en tant que conseiller commercial de l’ambassade
de Roumanie, qui a en fait , organisé
et dirigé un réseau d'espionnage contre l'OTAN,
appelé « réseau Caraman ». Ce réseau
renseignait tout particulièrement le KGB.
Caraman s’est rendu célèbre en corrompant
plusieurs fonctionnaires de l’OTAN, dont le siège se trouvait à l’époque à
Paris, qui lui ont procuré des tas de documents secrets concernant l’OTAN, qu’il
a fourni à l’Union Soviétique.
L’exceptionnelle longévité de son
activité en France – onze ans – lui a permis de croiser « le Tout-Paris »,
avec d’autant plus de facilité qu’à l’époque Ceaușescu
apparaissait comme le plus progressiste des chefs d’Etat du bloc de l’Est.
Mihai Caraman, charmeur et
francophile, amateur d’art et maître espion, n’avait pas son pareil pour
séduire ses « cibles » en jouant ce qui pouvait apparaitre comme « l’indépendance
» roumaine à l’égard de Moscou et les positions anti-américaines du général de
Gaulle sans oublier d’utiliser un peu de corruption, quand même.
En 1969, après avoir été démasqué par la D. S. T. (Direction de la
Surveillance du Territoire), Caraman est discrètement rappelé à Bucarest pour lui
éviter une expulsion.
Après l'ouverture du rideau de fer en 1989, Mihai Caraman, devient directeur
du « Serviciul de Informaţii Externe » (SIE, service de
renseignement extérieur) de la Roumanie post-communiste, de 1990 à 1992.
Cette nomination est interprétée par les mass média comme une indication
que la Roumanie va rester fidèle aux intérêts soviétiques et défier l’Occident.
Le personnage de Caraman parait être dans le même camp que ceux qui ont pris le
pouvoir fin 1989, les pro soviétiques Iliescu, Brucan, Militaru, Măgureanu, etc.
Pendant ce temps, Manfred Wörner, secrétaire général de l'OTAN à cette époque,
annonce qu'il refuse tout dialogue avec la Roumanie, alors en démarche de
pré-adhésion à l'organisation atlantiste, tant que Mihai Caraman, qui a espionné
l'OTAN, se trouve à la tête du SRI. Cette
information est réfutée par le livre malgré sa parution dans la presse
internationale.
Suite à cette déclaration, le 22 avril 1992 le président
ex-communiste roumain Ion Iliescu limoge
Caraman.
Celui-ci part à la retraite avec les honneurs et le grade de
général-colonel.
Avant ça, l’Union Soviétique avait été dissoute le 26 décembre 1991 !
Dans la préface du livre écrite par le journaliste Ion Cristoiu, il nous a dit
que Caraman est le plus grand espion roumain de tous les temps, et qu’il doit être
jugé d’après ses performances et non d’après les services et les pays qui en
ont bénéficié.
Le fait que Caraman a espionné l’OTAN quelques décennies avant que la
Roumanie n’en face partie ne le dérange pas.
Le livre commence
par une longue biographie de Caraman.
Il est né en 1928
dans un village à coté de Galaţi, puis a passé une partie de son enfance à
Cahul en Bessarabie.
Il a 12 ans en 1940,
au moment de l’ultimatum soviétique suivi de l’annexion de la Bessarabie. Il se
réfugie avec sa famille en Roumanie.
En 1941 sa
famille retourne en Bessarabie, à Ismaïl d’où ils sont obligés de repartir à nouveau
en 1944.
L’idée que
suggère l’auteur est la suivante : Caraman ayant été doublement réfugié, ne
pouvait avoir de sentiments favorables envers l’URSS.
Pourtant il
devient membre du parti communiste en 1947, âgé de 19 ans.
Or nous savons
que depuis sa création, en 1921, le parti communiste roumain a été complètement assujetti à l’Union Soviétique.
Un an plus tard
il entre à l’école des officiers du Ministère des Affaires Intérieures.
Dans un premier
temps, il est officier de contre-informations au sein des troupes de gardes-frontières ;
c’est-à-dire qu’il s’occupe de divers mouchardages entre soldats et même des
inscriptions « hostiles » dans les WC.
Il a du bien
faire son boulot, car en 1955 il est transféré à Bucarest à la Direction de
Contre-Informations Militaires.
Cela étant, sa carrière
est toute tracée : en 1958 il est conseiller économique à l’Ambassade de Roumanie
à Paris.
L’auteur nous
présente, après un long exposé sur les relations franco-roumaines, la situation
de la France dans ces années-là. L’arrivée
au pouvoir du Général de Gaulle et son conflit avec l’OTAN sont présentés de façon
fidèle mais utilise un vocabulaire « très langue de bois désagréable » ;
on croirait lire le journal « Scânteïa ».
Exemple :
« La
constitution autoritaire et réactionnaire de la Vème République … »
Ou « …. les
décisions du gouvernement de Gaulle correspondent avec les intérêts du capitalisme
monopoliste français. »
Dans ces années-là,
il était très facile pour un officier de renseignement roumain à Paris de surveiller
les réfugiés roumains.
La diaspora
roumaine est décrite par Caraman lui-même avec un mépris absolu :
« …. Pourquoi
s’occuper de ces misérables. Ils avaient une vie difficile, se diffamer les uns
les autres. Il suffisait de leurs offrir un repas pour qu’ils disent tous leurs
minables cancans. »
Caraman choisit une
voie plus difficile ; espionner l’OTAN.
Il commence par corrompre des fonctionnaires du siège de cette
institution, qui depuis 1960 se trouve Porte Dauphine à Paris (après 1967 le
siège déménage à Bruxelles).
Ce sont des
fonctionnaires subalternes mais qui ont accès aux documents secrets. Il joue
sur la corde pacifiste, l’équilibre des deux blocs, l’indépendance de la
Roumanie et il utilise aussi des arguments sonnants et trébuchants.
Le lieu même n’est
pas sécurisé complètement : aucune fouille, accès libres à la cafétéria de
l’OTAN, aucune vérification approfondie du personnel.
Les photocopies obtenues
étaient envoyées à Bucarest où des officiers du KGB venaient les réceptionner.
La première livraison qui a dévoilé l’organisation et la stratégie de l’OTAN, a
stupéfié les soviétiques ; l’importance des documents était si grande
qu’ils ont cru à une intoxication.
Caraman les a convaincus
par la suite de leur authenticité.
D’après Caraman,
les soviétiques lui aurait proposé de le contacter directement à Paris pour prendre
livraison des documents, court circuitant ainsi les services roumains.
Caraman aurait
refusé cette proposition d’après ce qu’il dit.
La longue période
d’activité de Caraman (1958 – 1969) a failli être interrompue en 1963 au moment
où le contre-espionnage français (la DST) ayant de forts soupçons a demandé au
Quai d’Orsay son expulsion. En l’absence
de preuves formelles, le Quai d’Orsay a refusé pour des raisons diplomatiques.
Les diplomates ont horreur de faire des vagues !
De Gaulle serait aussi
intervenu dans ce sens, c’est-à-dire qu’il a fait pression sur la presse pour
qu’elle n’ébruite pas ces informations. Cela pour ne pas troubler les relations
franco-roumaines et remettre en cause la visite officielle qu’il a faite en
Roumanie en mai 1968 et qu’il a considéré comme historique.
La demande d’expulsion
de Caraman a été réitérée plusieurs fois ultérieurement et toujours refusée.
Il est étonnant
qu’un diplomate suspecté d’espionnage depuis plusieurs années ai pu faire partie
des participants lors de la visite en Roumanie du général de Gaulle en mai 1968.
On le voit sur un certain nombre de photos officielles dans l’entourage immédiat
du président français en Roumanie.
D’ailleurs, après
le démantèlement du réseau Caraman, la presse française a fait montre d’une discrétion
remarquable ; il s’agissait d’espionnage pour « un pays de l’Est »
ou bien en faveur des soviétiques ! La Roumanie n’a pratiquement pas été
citée.
Ce qui est
curieux dans le livre c’est plutôt l’inverse ; on ne parle pratiquement
pas des soviétiques, les principaux bénéficiaires du travail de Caraman.
Cette discrétion
est voulue car l’auteur présente Caraman comme étant un espion roumain. En fait
il a été un espion soviétique au frais de la Roumanie.
On a vu que
Caraman portait deux chapeaux, le premier étant celui de l’espionnage, le
deuxième celui de la diplomatie, car il était conseiller économique. Il a
brillé aussi dans ce rôle de diplomate en participant aux négociations économiques
franco-roumaine et en s’impliquant dans l’organisation de la visite à Paris du
premier ministre roumain Maurer en 1964 ainsi que dans la visite en Roumanie du
président de Gaulle en 1968.
En 1970, après le
démantèlement de son réseau, Caraman étant grillé, a été mis au placard dans différents
emplois subalternes. A cette occasion, le
livre nous dévoile les aspects « linge sale » de la Securitaté ;
des inimitiés entre toute sorte de personnages, des haines entre les uns et les
autres, des cancans assez glauques, et même des falsifications de note de
frais.
Il est déjà difficile
de présenter la Securitaté sur un mode positif, mais à la lecture de ce
chapitre elle devient carrément méprisable.
Le livre a aussi
une postface écrite par le général de brigade Gheorghe Dragomir, ancien élève
de Caraman à l’école de la Sécuritaté de Grădiștea et son adjoint à la direction du S.I.E. Dans cette postface, Dragomir écrit
que les documents volés à l’OTAN ont aidé à maintenir l’équilibre
géostratégique et géopolitique, donc à maintenir la paix. Cet argument est communément
utilisé par tous les espions soviétiques en Occident, par exemple le groupe Kim
Philby & Co.
Je suis sûr qu’il ne dirait pas la même chose pour des espions occidentaux
en Union Soviétique comme, par exemple Farewell, le colonel Oleg Penkovski ou
plus récemment en Russie, Litvinenko ou Skripal.
Bien que tous les résultats de l’espionnage de Caraman aient démontrés
clairement que l’OTAN avait essentiellement des plans défensifs, Dragomir écrit :
« Les responsables civils et militaires de l’OTAN, bien connus pour
leurs positions belliqueuses, pouvaient à tout moment déclencher un conflit
militaire en Europe » !!!
Grace à Caraman ils ne l’ont pas fait.
A part ça, Caraman était motivé par un puissant sentiment patriotique,
fortement attaché à sa terre natale, bla bla bla. Un langage d’un autre temps.
Ce livre a été soutenu pour
son lancement par la Fondation Titulesco qui porte le nom du ministre qui a établi
les premières relations diplomatiques de la Roumanie avec l’Union Soviétique en
1936.
Les membres de cette Fondation et ceux qui ont participés au lancement du
livre, pensent que l’adhésion de la Roumanie à l’Union Européenne est un échec,
et qu’il faut en tirer les conséquences et se rapprocher de la Russie.
Ils ne le disent pas de cette manière, car le sujet est très sensible et impopulaire,
mais, ils le pensent très fort.
Dans ce groupe font partie, entre autres, Adrian Nastase, Petre Roman,
anciens premiers ministres, Adrian Severin, ancien ministre, Dan Berindei,
Razvan Theodorescu, academiciens, Ion Cristoiu, journaliste.
Ils considèrent que
Caraman n’était pas espion soviétique, mais un patriote qui a fait son devoir,
etc.
Il y a quelques
années, un autre groupe d’admirateurs du régime communiste et de la Sécuritate,
a soutenu et lancé les livres de Larry Watts : « Ferește -mă Doamne de Prieteni » et « Cei dintâi vor fi cei din urmă », édition RAO.
Il s’agit des anciens
généraux Ioan Talpeș (successeur de Caraman à la tête du SIE) et Iulian Vlad
(chef de la Securitaté de 1987 jusqu’à sa dissolution en 1990), et de Vasile
Dâncu, ancien ministre, Mihai Retegan, Cristian Troncotă, historiens et d’autres.
Ces derniers admirent
l’indépendance de Ceaușescu
par rapport à l’Union Soviétique. Ils considèrent, eux, Caraman comme un espion
soviétique.
Les deux groupes
sont d’accord sur l’essentiel ; le rôle positif de la Sécuritaté, son patriotisme,
sa contribution à l’indépendance du pays, etc.
Leur différence concerne
l’attitude à avoir vis-à-vis de l’ancienne Union Soviétique, aujourd’hui, la
Russie.
Les deux groupes
ont aussi une détestation commune ; le général Pacepa qui a déserté aux Etats
Unis en 1978.
Curieusement, le
premier groupe d’admirateurs de Caraman soutient que sa défection est due au
fait qu’il était espion américain, alors que le deuxième groupe soutient qu’il
était espion soviétique.
Qu’est-ce qui est
plus infamant ?